Monsieur Unavissurtout

Cette courte nouvelle s’inscrit dans le cadre d’un atelier d’écriture : l’objectif, écrire en 1h30 une histoire concernant un personnage qui est victime d’un sortilège bouleversant sa vie, que ce soit physique ou au niveau de son quotidien. Le texte est donc tel quel en premier jet, il n’y a pas de réécriture ni de correction orthographique 🙂 La fin est donc un peu abrupte !

Monsieur Unavissurtout

Monsieur Unavissurtout était un fier concierge mais, surtout, avait un avis sur tout. 

Il avait un avis sur ses locataires, pour commencer. Des animaux. Oh, ils étaient humains, bien sûr, mais avaient une bien drôle de façon de le montrer. Pour être plus précis, ils avaient une irrespectueux et dégueulasse façon de le montrer. Surtout dans les parties communes de la cave. Néanmoins, comme tous les animaux, ils étaient domptables, ce qui les rendait tolérables. Un avis par-ci, un avis par-là et monsieur Unavissurtout faisait marcher la copropriété comme il faisait autrefois marcher les scouts. Au pas ! 

Madame Blanche-Feuille avait tout de suite repéré cette capacité en lui, raison pour laquelle elle l’avait embauché fissa. L’ancien concierge était parti précipitamment. Au Brésil ou quelque chose comme ça. Pas étonnant, avec des individus pareils ! Heureusement, il était tenace et, depuis qu’il était là, les choses étaient en voie d’amélioration. 

Non… le vrai problème, c’était le monde extérieur. 

Le monde “du dehors”, comme il l’appelait. Celui qui s’étendait au-delà de l’immeuble 1930 dont il avait la charge. Des terres obscures, peuplées de petits monstres en trottinettes et de colosses furieux qui échappaient totalement à son contrôle. Par conséquent, ce monde du dehors était un véritable désastre : impolitesse, violence, crachats… la ville n’avait jamais été aussi sale et les gens aussi tendus. Ce n’était pas étonnant : il n’y avait rien qui allait comme il fallait. 

Monsieur Unavissurtout avait bien sûr des tas d’idées pour améliorer le quartier, mais les multiples avis qu’il lançait à longueur de journée par sa fenêtre double vitrage n’avaient jamais l’effet escompté. Au mieux on l’ignorait, au pire on l’insultait. Pourtant, ce n’était pas faute d’être identifié : il était devenu une véritable célébrité locale, à force de commenter la façon dont le boulanger maltraitait ses croissants ou de recommander au bistrot de la Perdrix quelques noms de cafés italiens bien plus savoureux que le jus de chaussette qu’ils y servaient. 

Monsieur Unavissurtout pouvait donc s’attendre à ce qu’on l’écoute. 

Mais rien. 

Tout cela, à son avis, allait mener la société à sa perte. Et il en eut la preuve, un jeudi matin d’automne. 

Ouvrant ses volets sur une journée qui s’annonçait particulièrement pluvieuse, il fut témoin du crime le plus abominable auquel un concierge puisse assister : une invasion, orchestrée par des hippies décidés à en découdre avec le vieux monde. 

Cela faisait maintenant un mois que le vieil Horace Funantrape, l’un des derniers résistants à la modernité, avait mis la clé sous la porte pour aller mourir dans une maison de retraite. Sa boutique de literie, située juste en face, avait été vidée par ses petits enfants aussi rapidement que s’il eu été déjà décédé et dès lors, Monsieur Unavissurtout avait eu un mauvais pressentiment. Selon lui, il convenait d’y installer à la place un cordonnier, qui aurait trouvé en ces locaux chaussure à son pied. Mais il connaissait l’appétit des ténèbres. Il s’était attendu à voir surgir d’un jour à l’autre un Naples Store (ou quelque chose de ce genre là). Cette perspective était déjà monstrueuse en soi, la vue de cette génération de jeunes adultes tête baissée sur leur téléphone le rendait malade.

A quoi l’être humain voulait-il ressembler dans le futur ? A une girafe ?

Oui, vraiment, Monsieur Unavissurtout avait tout imaginé. Tout… mais pas ça. 

Il était temps de passer à l’acte. 

En deux trois mouvements — une veste, un parapluie et des lacets bien faits — Monsieur Unavissurtout traversait déjà la rue avec toute la détermination que lui incombait cette grave affaire. Il entra précipitamment dans une boutique où les matelas avaient laissé leur place à de vieux ouvrages maculés de tâches en tout genre et il reconnut immédiatement une odeur infernale qu’il ne connaissait que trop bien : celle de la poussière et du laisser-aller.  

— Bonjouuuur, puuuuis-je vous aider ? chantonna le démon. 

Comme bien souvent, ce dernier avait pris une forme agréable, celle d’une jeune fille au visage délicat, et l’avait perverti en quelque chose d’horrible, puisqu’elle avait inséré dans ce dernier des bouts métallique que les paysans réservaient d’habitude aux vaches.

Il posa son parapluie dans un coin. 

— Ne me diiiites rien ! enchaina la dégénérée, cachée derrière un comptoir où étaient exposés toute sorte de colliers étranges et ne lui offrant même pas la politesse de pouvoir répondre. Vous êtes là pouuuur… 

Elle plaqua une main pleines de bagues tordues sur son petit front. D’où il était, Monsieur Unavissurtout trouvait qu’elle avait tout d’un hérisson : petits yeux, long nez… Du genre à se faire écraser sur la route parce que pas assez futée. 

— Pour un problème d’équilibre des émotions ! supposa-t-elle en affichant un large sourire. C’est cela ? 

Monsieur Unavissurtout inspectait la boutique avec grande attention. Dans son temps, il y avait déjà ce genre de magasins satanistes, mais il les pensait disparu en même temps que les Beattles. 

— Vous ne pouvez pas rester ici ! dit-il sévèrement et sans compassion. 

— Je vous demande pardon ? 

Surprise par cette remarque, elle fit le tour de son comptoir et se rapprocha de lui pour mieux l’observer. 

— “En Sorts Scellés”, vous vendez quoi ? interrogea-t-il. De la drogue, ce genre de choses ? C’est un quartier respecté ici, madame. Et j’y veille. Vous avez peut-être entendu parler de moi ? Monsieur Unavissurtout. 

— Je suis désolée… non, monsieur, dit-elle gentiment, l’air de ne pas vouloir le brusquer. Mais je vous rassure, tout ce qu’il y a ici est on ne peut plus légal. Je vends des solutions chamaniques. 

— Qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ? 

— Les gens viendront ici pour obtenir des remèdes naturels, des pierres aux pouvoirs extraordinaires ou encore des ouvrages capables d’initier leur esprit aux énergies qui nous entourent. 

— Les énergies qui nous entourent ? répéta-t-il, plein d’incompréhension.

— Oui. Vous savez, le monde en est rempli. Vous ne le sentez pas ? Regardez, si je mets ma main ainsi, comme ça, je ressens l’énergie qui monte et…

Elle tendit la main dans sa direction, comme pour l’attraper. 

— Oh, mais la vôtre est très mauvaise. Ca ne va pas ? 

Monsieur Unavissurtout se braqua aussitôt. 

— Bien sûr que si !

Il dévia son regard. Il y avait d’horribles statuettes africaines qui le dévisageaient.

— En tout cas, ça allait parfaitement avant que vous débarquiez ici, ajouta-t-il en ramenant son attention sur la vendeuse. Vous ne pouvez pas rester là. Si vous voulez mon avis, les énergies tout ça, c’est du pipeau. Vous devriez faire des choses plus… utiles. Vous avez quel âge ? 

— 23 ans, répondit la femme, mettant une main sur sa hanche et prenant un air un peu contrarié. 

— Eh bin… voilà ce que vous devriez faire : vous devriez reprendre vos études et devenir fleuriste. Ca marche bien ça, fleuriste. Et les fleurs, c’est joli. 

— Mais j’aime ce métier, rétorqua-t-elle. C’est un projet depuis plusieurs ann…

— Non, non, écoutez-moi. Ce n’est pas très sérieux. En plus, à mon avis un cordonnier serait beaucoup mieux placé ici qu’une boutique dans votre genre. 

— Vous m’avez dit que vous étiez qui, déjà ? 

— Monsieur Unavissurtout. 

— Oh oui, je comprends… 

— Je suis connu ici vous savez. Sans moi, le quartier ne tournerait pas rond. Enfin encore moins qu’actuellement. Croyez-moi, je sais de quoi je parle. J’ai de l’expérience. Ce que vous faites ici, ce n’est pas bien. 

— Sans vouloir vous manquer de respect monsieur, je ne vois pas ce qui vous permet de l’affirmer. 

— J’ai raison c’est tout ! Ici on devrait mettre un cordonnier, je le répète. Le monde est déjà assez absurde comme ça, les gens font n’importe quoi ! 

Elle haussa les épaules. 

— Les gens font ce qu’ils veulent, non ? 

— Non, bien sûr que non. C’est pour ça que le monde va mal. Parce qu’ils prennent les mauvaises décisions. Même notre gouvernement ne sait plus ce qu’il fait ! C’est quand même un drame. Alors qu’avec un peu de bon sens… Vous savez, moi je garde un immeuble. Celui juste en face là, vous voyez ? 

— Je vois. Je crois que je commence à comprendre. Les gens prennent systématiquement de mauvaises décisions alors que vous, vous prenez toujours les bonnes ? 

— Bien sûr que oui. 

— Et le monde entier devrait vous écouter, juste parce que vous êtes expérimenté, c’est ça ?

— Eh bien… je suppose que… oui. Sans aucun doute. Exactement.

La jeune femme s’avança soudain en direction de la porte, attrapa le parapluie de l’homme et ouvrit la porte. 

— Navrée monsieur, mais je vais vous demander de partir. Si vraiment vous avez un avis sur tout, vous devriez faire de la politique, mais laissez les gens travailler. 

Sans aucune autre forme de procès, Monsieur Unavisurtout se retrouva le nez sous la pluie. Pour autant, l’homme n’abandonna pas sa mission et tapota sur la vitre, la suppliant de renoncer. La jeune femme fit mine de l’ignorer, ce qui le mit en colère. 

— Vous devriez m’écouter, petite idiote ! laissa-t-il s’échapper à voix haute. 

Ce qu’il ne savait pas, c’est que cette remarque n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde. 

_________________________

TOC ! TOC ! TOC ! 

Le soir-même, quelqu’un tambourina violemment à la porte. Monsieur Unavissurtout n’eut pas d’autres choix que de lâcher la cuillère qu’il tenait dans la main, la plongeant dans sa soupe de tomate. Il était d’avis que ce n’était pas une heure pour déranger les gens. Contrarié, il se leva et alla ouvrir. 

A tous les coups, c’était cette sale hippie d’en face, qui n’avait pas arrêté de lui lancer des regards noirs toute la journée, au travers de sa vitrine. 

— Monsieur le président ?! lâcha bêtement Monsieur Unavissurtout. 

Devant lui se tenait en effet le sosie parfait du président de la république, encadré par deux gorilles à qui l’on avait flanqué des costards cravates. Ils semblaient nerveux. 

— Bonsoir, Monsieur Unavissurtout, dit l’un des deux gorilles avec une voix monotone. 

Le vieil homme se demanda un instant s’il ne manquait pas cruellement de sommeil ou s’il faisait une sorte d’attaque capable de lui provoquer des hallucinations, mais la scène lui semblait si surréaliste qu’elle ne pouvait paradoxalement qu’être vraie.

— Euh… oui..? parvint-il à articuler.

Sans un mot, l’homme le poussa d’un bras et se fraya un chemin vers l’intérieur de l’appartement.

Quelques minutes plus tard, les deux gardes du corps étaient ratatinés contre le président, sur le petit canapé en cuir marron du vieil homme, tandis que ce dernier restait bêtement debout. Que devait-il faire ? Ils n’avaient pas retiré leur chaussures ce qui, à son avis, n’était pas très poli. 

— Vous ne devriez pas… (Il se retint.) Vous voulez de la soupe à la tomate, monsieur le président ? 

Question stupide.

— Non merci, répondit le président d’un air soucieux. 

— Le président ne mange pas ce qui ne vient pas de l’Elysée, précisa l’un des gorilles. 

Evidemment, songea Monsieur Unavissurtout comme s’il l’avait toujours su.

En réalité, il était terrorisé. Néanmoins, la présence de leur chausses en cuir sur son parquet ciré l’effrayait encore plus. Alors il craqua : 

— Excusez-moi mais… pourquoi êtes-vous là ? 

— Quelle question, s’exclama le président, je viens pour la Corée, évidemment ! 

— La Corée ? répéta-t-il sans comprendre. 

— Oui, j’ai de nouveau besoin de votre avis. 

Le président avait besoin de son avis ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? 

— Mon avis ? A moi ? 

— Eh bien oui, comme d’habitude. Voyons qu’est-ce qu’il vous arrive ? Et par tous les diables où étiez-vous donc passé bon-sang ?! Tout le monde nous attend. 

— Tout le monde attend ? Pour quoi ? 

— Mais pour le call bien sûr. Je crois que le président américain est déjà en ligne et… les russes évidemment. Toujours ensemble ces deux-là.

— C’est quoi un coal ? 

— Une réunion en visioconférence. Vous êtes malade ou quoi ? 

— Vous voulez que je participe à une réunion avec le président américain et le président russe ? Qu’ils parlent… avec moi ? 

— Eh bien oui, le monde compte sur vous. Vous êtes le Grand Aviseur après tout !

Monsieur Unavissurtout ne savait pas ce qu’était un Grande Aviseur, mais il dût s’asseoir, manquant de s’évanouir. 

— Je ne me sens pas très bien… gémit-il. 

— Oui eh bien, si ça ne vous ennuie pas, vous irez mal après le call. 

L’un des deux gorilles déposa une énorme mallette sur la table basse et l’ouvrit, révélant un drôle d’ordinateur. 

— Bon, mais avant de nous connecter, quelle est notre stratégie ? demanda le président. 

— Notre stratégie pour… ?

— Eh bien cette guerre, à votre avis, on la déclenche ou pas ?

Simon Foucher
Scénariste-concepteur de dispositifs interactifs depuis plus de 5 ans, je suis un passionné d'écriture rédigeant sur son temps libre scénarii, nouvelles, romans, jeux de rôles. Diplômé d'un master de scénarisation multisupport, de cinéma et de graphisme multimédia, je suis un véritable touche à tout qui adore comprendre et maîtriser les différents supports qu'il pratique. A ce titre, une partie de ma profession m'a amené à m'interroger sur la réalité virtuelle et la narration immersive. Aujourd'hui âgé de 28 ans et situé à Lyon, je scénarise serious games, webdocumentaires, films 360, applications VR/AR et développe sous Unity3D (C#). Mail de contact : z.simon.foucher@gmail.com
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